Dans le pays des bossus, Il faut l'être Ou le paraître : Les dos plats sont mal reçus Au pays des bossus. Un jour, le vent moqueur y jette Un puîné de Jean de Calais ; Jean débarque et prend sa lorgnette : « Tudieu ! que ces magots sont laids ! » Et Jean, d'un air superbe, Les toise à chaque pas ; Car il est un proverbe Que Jean ne connaît pas : Dans le pays des bossus, Il faut l'être Ou le paraître : Les dos plats sont mal reçus Au pays des bossus. D'un air triomphant, il s'étale Le soir aux Bouffes ; mais soudain Autour de lui, de stalle en stalle, Bourdonne un rire de dédain. Maint faiseur d'épigramme Crie : À la porte ! il va Faire avorter le drame Et la dona diva. Dans le pays des bossus, Il faut l'être Ou le paraître : Les dos plats sont mal reçus Au pays des bossus. Jean le comprit, et d'une haleine Vite à son auberge il courut Endosser deux bosses de laine ; Puis dans le monde il reparut : Et soudain chaque belle, Prise à ce tour subtil, Du beau Polichinelle Voulut tenir le fil. Dans le pays des bossus, Il faut l'être Ou le paraître : Les dos plats sont mal reçus Au pays des bossus. Mainte vieille, à la dérobée, Épuisa pour lui soins et fard ; Mainte fois sa bosse est tombée Aux pieds d'une autre Putiphar ; Enfin, pouvant à peine Suffire à son bonheur, Jean d'une énorme reine Fut... l'écuyer d'honneur. Dans le pays des bossus, Il faut l'être Ou le paraître : Les dos plats sont mal reçus Au pays des bossus. Mais du roi Pouf il vit la fille ; L'auguste enfant, des plus jolis, Épouvantail de sa famille, Avait poussé droit comme un lis. De ce côté sans cesse Jean soupire, et, vainqueur Aux pieds de la princesse Met sa bosse et son cœur. Dans le pays des bossus, Il faut l'être Ou le paraître : Les dos plats sont mal reçus Au pays des bossus. Tous deux s'esquivent : bon voyage ! Puis en France ils vont saintement Ajouter à leur mariage La formule du sacrement. Bref, de sa double bosse, Inutile à Calais, Pour danser à la noce, Jean se fit des mollets. Dans le pays des bossus, Il faut l'être Ou le paraître : Les dos plats sont mal reçus Au pays des bossus. Il eut un enfant, deux, trois, quatre, Fut échevin et marguiller, Vit des abus sans les combattre, Écouta des sots sans bâiller. Et, vieux, de la jeunesse Devenu le Mentor, Au sortir de la messe Il fredonnait encor : Dans le pays des bossus, Il faut l'être Ou le paraître : Les dos plats sont mal reçus Au pays des bossus. |
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POÈME DE HÉGÉSIPPE MOREAU MUSIQUE DE MICHEL AGNERAY |